Mieux Prévenir

Comprendre le rapport entre la santé et l'environnement pour mieux protéger nos enfants et les générations futures.

16 janv. 2017

Témoignages des personnes électrosensibles : Exclusion et isoloement : Extrait du Mémoire par Jonathan Rouzé

"Bien que l’échantillonnage de cette analyse ne comprenne que des personnes d’une soixantaine d’années ; l’augmentation exponentielle de l’irradiation continue, de plus en plus puissante, pose la question du développement potentiel de l’intolérance électromagnétique infantile."

Nous partageons un extrait du Mémoire, "De la sensibilité à l’hypersensibilité électromagnétique, signal d’une défaillance sociale issue d’un « développement » technoscientifique?", sur l'exclusion et l'isolement des personnes électrosensibles, préparé sous la direction de Louise Vandelac, Guillaume Grandazzi et Frédérick Lemarchand, présenté et soutenu par Jonathan Rouzé.

Texte intégral du Mémoire.

De la sensibilité à l’hypersensibilité électromagnétique, signal d’une défaillance sociale issue d’un « développement » technoscientifique?
Université de Caen-Normandie Unité de formation et de recherche : Humanités et Sciences Sociales Master 2 de Sociologie, spécialité gouvernance des risques et de l’environnement

Extrait pp. 22-25



C) De la stigmatisation à la désocialisation, de l’exclusion à l’isolement [dernière partie]

... la situation sociale de ces personnes est loin d’être simple. En effet, l’ensemble entretenu semble être confronté à une perte d’instances dans le processus de socialisation, ici secondaire : famille, organisation professionnelle, groupe de pair, etc. En découle une déperdition de rôles et de certains statuts mais aussi probablement une remise en question de leurs valeurs et des normes. Ce qui se manifeste dans la situation actuelle, c’est qu’un individu électrohypersensible - ceci ce retrouve dans les discours - est face à un contexte de forte exclusion sociale :

« C’est ça, on n’a pas le choix de se retirer de se protéger. Dès qu’on est exposé on est malade, il faut se retirer. C’est se retirer de la société finalement. […] C’est très compliqué, les gens ne peuvent pas s’imaginer. »
- Mathilde (électrohypersensible) 21.08.2016 (Montréal, via l’application Skype) 

« Tu sais, c'est le danger qui guettent les électrosensibles, les personnes qui sont touchées par ça puis qui perdent tout. Ils perdent leurs jobs, ils perdent leurs rapports avec les amis. Tu sais, tu ne peux plus aller dans des soupers d’amis, tu ne peux plus aller au restaurant, tu ne peux plus aller au cinéma ; puis plus personne veut te voir, personne veut aller chez toi. »
- Pauline (électrohypersensible) 26.08.2016 (Montréal, par téléphone) 

« Je reçois un appel d’une pauvre femme qui est seule puis qui vit les mêmes choses que moi, mais qui doit sortir ne serait-ce que pour aller faire son épicerie. Qui revient, qui en a pour deux trois jours à être vraiment malade. […] Ben oui c’est une exclusion. Ce n’est pas ce qu’on veut mais pour être bien, on a comme pas le choix! »
- Audrey (électrohypersensible) 22.08.2016 (Montréal, par téléphone) 

En conséquence, se pose la question de l’anomie au sens durkheimien du terme. A noter que l’approche de l’anomie par Robert K. Merton, qui est associée à la déviance, est aussi intéressante puisque par exemple, quand Pauline a décidé de riveter et de barricader son ancien compteur face au déploiement « intelligent », elle se retrouvait dans une situation de déviance. Si l’anomie était dans un premier temps développé par Durkheim dans sa thèse comme un état anormal de la division du travail entraînant une perte de solidarité sociale, portant atteinte à la cohésion sociale ; l’intérêt est ici porté sur l’extension du concept qu’il a fait par la suite, en le considérant comme une variable explicative du suicide. Ajoutez à cela une réelle souffrance physique et chronique, il n’est pas étonnant que certains en viennent, ou pensent à s’ôter la vie :

« Après ce déménagement-là, tout le mois de Juin j’étais en épuisement complet puis même, je vous dirais suicidaire. Parce qu’avec tout ce que le Wifi me fait vivre, en plus de la chimico, je ne vois pas de porte de sortie. Je ne vois pas d’avenir, c’est très sombre les personnes comme moi. […] Écoutez, on a eu deux suicides, j’ai été témoin des personnes que je connaissais, deux suicides et une tentative, puis moi tout le mois de juin, je le considérais sérieusement. »
- Anaïs (électro-chimicohypersensible) 16.08.2016 (À proximité de Sherbrooke) 

« Tu sais les chimicos puis les électrosensibles, il y a un peu près 12% qui se suicident par année... Parce que à un moment donné la vie devient trop, trop difficile, ça devient trop difficile. »
- Pauline (électrohypersensible) 26.08.2016 (Montréal, par téléphone) 

Ce qui est plutôt inquiétant, c’est la possibilité que les innovations actuelles, sources d’« intelligence », engendrent aussi un effritement de la socialisation primaire dans certains cas. Bien que l’échantillonnage de cette analyse ne comprenne que des personnes d’une soixantaine d’années ; l’augmentation exponentielle de l’irradiation continue, de plus en plus puissante, pose la question du développement potentiel de l’intolérance électromagnétique infantile. Si la famille est considérée comme l’instance principale de socialisation primaire car elle intervient dès le premier âge de la vie, une autre instance majeure est l’école (en découle de plus, des processus plus informels, la socialisation latente, issue par exemple des groupes de pairs qui s’y forment).

En France, l’usage du Wifi a connu un début de régulation avec l’article 7 de la loi n° 2015-136 du 9 février 2015, dite « loi Abeille » (désactivation des matériels Wifi hors des activités numériques pédagogiques dans les classes des écoles primaires). S’ajoute aussi l’article L. 511-5 du code de l’éducation (interdiction de l’usage du téléphone mobile durant toute activité d’enseignement à l’école et au collège) qui réduit un peu les expositions. Il faut dire que les dernières recommandations de l’ANSES stipulent « des effets possibles » du sans fil sur les fonctions cognitives et le bien-être des enfants et préconisent un usage « modéré et encadré ». Au Québec, la précaution semble plutôt écartée :   « Compte tenu d’une part, des niveaux d’exposition aux RF attribuables à la technologie Wifi et d’autre part, des résultats des études scientifiques rigoureuses portant sur les effets des RF sur la santé, l’utilisation du Wifi dans les écoles primaires ne constitue pas un risque pour la santé des enseignants ni celle des élèves» Mais certaines écoles constatent tout de même que le risque est présent :

 « L’an passé, suite aux problèmes, l’école primaire a été les premiers à réagir parce qu’elle saignait du nez tous les jours. Ce qui fait que je leur ai demandé d’enlever le Wifi. Un moment donné, ils se sont décidés et elle a arrêté complètement de saigner du nez. Ce qui fait qu’ils ne l’ont jamais remis. Ils ont fait un plan d’intervention pour qu’il n’y ait plus de Wifi dans sa classe puis pour ne pas activer un cellulaire en sa présence. »
- Mathilde (électrohypersensible) 21.08.2016 (Montréal, via l’application Skype) 

Si une prise en considération et une adaptation du primaire à l’électrosensibilité peut se faire spontanément, modifier l’utilisation du sans fil dans le secondaire est une autre histoire :

 « Le plus grave c’est mon fils qui ne tolère plus le wifi de l’école donc il n’était plus capable d’aller à l’école dans l’année passée. […] Mon fils il a des problèmes de cœur instantanément, son cœur fait de l’arythmie. […] L’école ne croyait pas ça, ce qui fait qu’ils ont fait des tests de Wifi sur lui. Ils jouaient avec l’intensité du Wifi même si il y avait une lettre du médecin. L’école puis la commission scolaire ont fait des tests de Wifi sur lui, ils jouaient avec l’intensité puis ils regardaient les symptômes. Ils ont fait ça fin octobre puis il est tombé vraiment malade, il s’est ramassé à l’hôpital pour enfant en cardiologie. Puis suite à ça, ils ont débloqué un budget pour envoyer des profs à la maison 12 heures par semaine. »
- Mathilde (électrohypersensible) 21.08.2016 (Montréal, via l’application Skype) 

La confrontation à une intolérance, que ce soit pour des adultes ou des enfants, entraine une modification profonde de la vie quotidienne est des rapports/liens sociaux. Fort heureusement, la société civile, consciente du risque de l’irradiation moderne, semble s’activer pour minimiser les impacts de cette dernière.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.